Samantha Bailly

Plume pas mon auteur !

Publié le : 3 décembre 2017

Tout d’abord : MERCI.

 

Merci pour ce mouvement de solidarité, pour cette union autour des artistes et auteurs. Avec la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, et d’autres associations et syndicats d’auteurs que nous remercions vivement : la Société des Gens de Lettres, l’ATLF pour les traducteurs littéraires, le SNAC et le SNAC BD, qui sont nos partenaires quotidien. Et bien sûr, la Voix des blogueurs pour les lecteurs, lecteurs qui ont lancé le fameux slogan « PLUME PAS MON AUTEUR », une grande inspiration pour nos manifestations.

Le défilé est lancé à partir du stand de la Charte

C’était peut-être ce que vous attendiez de nous : les plumes, les revendications festives. On nous a attribué un rôle, il est vrai : ceux qui divertissent, surtout en littérature jeunesse n’est-ce pas ?

 

Notre façon de nous exprimer, joyeuse, en représentation, c’est encore peut-être les traces de notre pudeur à parler de l’envers du décor. Créativité et social, cela ne fait pas bon ménage dans l’inconscient collectif. Eh bien, nous, dans notre quotidien, nous ne séparons pas imaginaire et réalité,  inspiration et pragmatisme. Nous ne séparons pas non plus la vie créative de la vie tout court.

 

Aujourd’hui, la situation est d’une urgence absolue.

 

Sans auteurs, pas de livres. Pas de salons, non plus. Car qui les lecteurs viennent-ils voir aujourd’hui ? Les personnes en chair et en os, qui ont, d’une façon ou d’une autre, dialogué avec leurs intériorités.

 

Car, derrière ces livres, tous ces livres, derrière ces couvertures, il y a des êtres humains. Nous. Devant vous. Nous voici donc, tout emplumés – pour ne pas dire déplumés. Non pas sagement assis derrière nos tables de dédicaces, mais debout, car nous comptons bien avoir voix au chapitre.

Nous, auteurs et illustrateurs, sommes une population très hétéroclite. Certains vivent de leur art, d’autres pas. Quoiqu’il en soit, si écrire et dessiner n’est pas toujours notre métier principal, notre acte de création n’exclue pas la notion de travail.

 

Alors bien sûr, le temps de la création est difficilement saisissable, quantifiable. La rémunération de l’artiste auteur est avant tout une spéculation de la part de l’éditeur, avec lequel on travaille : quelle valeur est-ce que j’accorde à ce roman, cet essai, cet album, cette bande dessinée ? Quel potentiel littéraire ou artistique ? Quel potentiel commercial ? Nous avons, il est vrai, choisi une voie estampillée du grand principe qu’est L’INCERTITUDE. Incertitude de la prochaine idée, incertitude de ce que sera demain, incertitude de l’échec ou du succès d’un livre. C’est un choix, oui. Un choix que nous assumons pleinement. Mais ce choix ne signifie pas que nous devons être sacrifiés.

 

Il y a quelques années, les États Généraux de la Bande Dessinée ont lancé un signal d’alarme : 36% d’auteurs de BD sous le seuil de pauvreté. Oui, c’est une réalité de laquelle nous préférions tous nous détourner. La récente étude du Ministère de la culture et du CNL sur la situation économique et sociale des auteurs du livre, datant de 2016-17, est une première mouture visant à capter le quotidien et les conditions d’une population finalement souvent inconnue. Les quatre mots qui reviennent le plus dans la bouche des interrogés ? Précaire, passionnant, difficile, mal payé. La conclusion de cette étude est la suivante : une dégradation du revenu des auteurs.

L’édition jeunesse, c’est

  • 324 millions de chiffres d’affaires,
  • +5,2 % de croissance,
  • plus de 16 000 titres par an.

L’édition est une industrie culturelle, et le secteur jeunesse a le vent en poupe. C’est d’ailleurs le secteur éditorial qui exporte le plus d’œuvres à l’étranger. Par nos créations, nous participons à la vitalité et la réussite d’une économie. Nous vantons donc la créativité, la diversité et l’originalité incroyables de la création française. Mais qu’est-ce que la création ? La création, c’est d’abord les CRÉATEURS.

Et aujourd’hui, dans quelles conditions créons-nous ? Nous vivons dans une situation plus préoccupante que jamais : baisse des revenus, alourdissement des cotisations, délais de paiement à plus d’un an, et récemment la non anticipation de la compensation de la hausse de la CSG pour les artistes auteurs, qui a mis le feu aux poudres. Aurait-on oublié que nous sommes aussi des actifs ?

De la même façon qu’un enfant n’est pas une moitié d’être humain, un auteur jeunesse n’est pas une moitié d’auteur.

L’étude que je cite du Ministère de la Culture et du CNL, qui ne donne qu’un premier échantillon des disparités de rémunération entre la littérature jeunesse et le reste de la profession, indique que les à-valoir et les pourcentages sont nettement plus faibles pour nous, auteurs jeunesse. Empiriquement, la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse le constate depuis toujours, et n’a cessé de tirer la sonnette d’alarme sur cette inégalité inacceptable : les à-valoir et les pourcentages sont, en moyenne, deux fois inférieurs. Les justifications économiques de nos interlocuteurs s’entendent dans une pure logique de rentabilité d’entreprise, mais cette inégalité ne repose que sur un usage bien installé. La différence de coût de fabrication soi-disant « plus élevés » (quel devrait-on dire des coûts de fabrication de la BD, où les à-valoir et pourcentages sont nettement plus conséquents ?), ou le prix du livre plus faible, ne sont pas des arguments recevables. C’est simplement admettre que nous, auteurs jeunesse, sommes la variable d’ajustement. Cet usage qui ne peut plus durer. De la même façon qu’un enfant n’est pas une moitié d’être humain, un auteur jeunesse n’est pas une moitié d’auteur.

Après le défilé, prise de parole publique avec les associations et syndicats de défense des auteurs / illustrateurs présents.

 

Nous rencontrons prochainement le Syndicat National de l’Édition pour entamer un dialogue sur ce sujet. Mais il serait bien trop caricatural et simpliste de résumer la situation sociale actuelle des auteurs de littérature jeunesse uniquement aux usages de rémunération des éditeurs , bien qu’ils soient préoccupants. Tout d’abord, nous savons qu’il y a Éditeur et éditeur. De la petite maison d’édition artisanale au grand groupe, du PDG d’une entreprise à l’étudiante qui était en CDD, et qui continuera en freelance… les réalités sont plurielles, et nous avons le sens de la nuance. Les éditeurs sont nos partenaires, et nous aspirons à une compréhension mutuelle.

Une œuvre est l’objet d’un créateur, qui doit avoir sa juste rémunération

Mercredi dernier, la Charte a pu rencontrer Françoise Nyssen, Ministre de la Culture. Cette dernière a annoncé que la CSG serait bien compensée pour les artistes auteurs. Nous remercions le Ministère de la Culture de s’être emparé de ce sujet et d’avoir trouvé cette solution, sur laquelle nous attendons encore des détails techniques et une garantie de pérennité. Nous demandons que les associations et syndicats d’auteurs, regroupés dans un Conseil Permanent des Écrivain, soient associés aux réformes les concernant, sachant que de profonds changements arrivent.

 

La Charte a su trouver de nouvelles écoutes, et nous avons été sensibles à l’attention portée par la Ministre et aux engagements formulés. Lors de son audition sur le PLF 2018, Françoise Nyssen a rappelé : « Une œuvre est l’objet d’un créateur, qui doit avoir sa juste rémunération ». Une étude Ministère de la Culture / CNL sera lancée prochainement sur les auteurs de littérature jeunesse, mais aussi sur la chaîne du livre. Nous nous réjouissons de cette nouvelle.

Vous l’avez prouvé aujourd’hui : nous ne sommes pas seuls.

La Charte existe depuis 42 ans. Cette association est née de l’initiative d’auteurs et illustrateurs voulant se rassembler, tisser du lien professionnel, échanger. C’est une association de terrain, essentiellement composée d’auteurs bénévoles, montant eux-mêmes leurs projets. Elle est née d’un besoin de considération, d’un besoin de poser des normes, des règles, des cadres. À ce titre, les tarifs de la Charte ont été une grande victoire. Auparavant, les interventions des auteurs étaient bénévoles. D’où vient la force de ces tarifs ? Sa force, elle vient de vous, auteurs et illustrateurs jeunesse, qui vous êtes emparés de cette recommandation, et l’avez posée comme condition pour défendre la valeur de ce que vous êtes et de ce que vous apportez. Vous avez décrété, que votre temps, votre énergie, avait une valeur.

 

Nous devons donc continuer, tous ensemble, dans ce sens, à savoir dire « non », à demander plus, négocier, s’informer, et à être unis et solidaires. Car, même si nous sommes dispersés sur le territoire, même si nous sommes souvent isolés, même si créer est un travail atypique, nous formons une profession.

 

Les artistes auteurs en France représentent 260 000 personnes. Si l’on resserre sur les auteurs du livre, puis sur les auteurs et illustrateurs en littérature jeunesse, nous sommes ce que l’on appelle une « micro population ». Mais nous sommes en réalité bien plus que cela. Nous sommes aussi nos lecteurs. Ces vies effleurées ou profondément bouleversées à travers nos livres. Un livre, qu’est-ce sinon une façon de communiquer nos émotions, pensées, expériences, sentiments, connaissances, vécus, avec d’autres individus, sans aucune contrainte de temps, ni d’espace ?

 

Vous l’avez prouvé aujourd’hui : nous ne sommes pas seuls.

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